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Entretien avec Hugues Canetti par Francis Thievicz




Les deux Zeppelins publient depuis septembre dernier une série de textes singuliers, au rythme de trois épisodes par semaine. Ceux-ci fonctionnent comme un puzzle dont les pièces éparpillées seraient retrouvées une par une dans le désordre le plus complet. Au lecteur de les imbriquer pour révéler le message qu'elles contiennent et ainsi reconstituer l'histoire en tant que tel. L'auteur de ces « fragments », Hugues Canetti, a accepté de répondre à mes questions. De quoi en apprendre plus sur la genèse de ces textes et sur l'auteur lui-même.
Francis Thievicz




Francis Thievicz : Hugues Canetti, vous êtes l’auteur d’un ouvrage sur Helena Blavatsky, vous publiez une revue d’entomologie et vous préparez un essai sur Joseph Smith, pourtant vous vous êtes mis à la rédaction de récits fantastiques. Pourquoi ce glissement vers la fiction ?

 

Hugues Canetti : Qui vous parle de fiction ? Je ne serais pas si catégorique. La démarcation entre fiction et réalité n'est pas si franche, certaines philosophies nous apprennent qu'il s'agit d'une membrane poreuse ; certains affirment même être capables de la franchir par la mort, ou le rêve – lucide ou non. Mon essai sur Madame Blavatsky, qui est ni plus ni moins qu'une version remaniée de ma thèse sur la Théosophie présentée quelques années auparavant à Paris, traite déjà de continents sensément fictifs tels que l'Hyperborée ou l'Atlantide et peut être perçu, en ce sens, comme les fondations du De Vermis Circulis. Pour ce qui est de l'entomologie, il s'agit d'une passion de toujours, mais qui n'est pas sans rapport avec le mysticisme que je viens d'évoquer. Prenez le Scarabaeus sacer, pour exemple, que l'on nomme communément le Bousier. N'était-il pas lui-même divinisé dans l'Égypte antique par son affiliation à Khépri, le dieu du soleil levant ? Pline lui-même le nommait Héliocanthare, autrement dit Scarabée du soleil. Non, décidément, le monde n'est qu'Un, qu'il s'agisse de cosmogonie ou de cosmologie avec les trous de vers, les insectes et les protostomiens ont de tous temps eu leur rôle à jouer.

 

Francis Thievicz : Pourquoi vous intéressez-vous à des personnages tels que Joseph Smith et Blavatsky ?

 

Hugues Canetti : De mémoire, il me semble avoir toujours été attiré par les croyances. Mais c'est la lecture du Livre de Dzyan, puis de La Doctrine Secrète qui m'ont poussé à étudier les pensées occultes de l'humanité au fil du temps. Les éditions de la parole, qui ont édité mon essai sur Blavatsky, étaient d'ailleurs en quelque sorte une société secrète, fondée par un coturne pendant nos études d'histoire des religions. Ils étaient une dizaine à se réunir chaque vendredi soir dans une salle délaissée de l'université, sorte de cave qui prenait des allures de loge maçonne. Je ne sais pas trop à quel genre de réunions ils s'adonnaient, mais ce sont eux qui, après de nombreuses années d'existence post-fac, m'ont proposé de publier ce texte. Ils ont dû en tirer une trentaine, en tout et pour tout. Pour ce qui est de Joseph Smith, la problématique est différente. Je me suis toujours demandé pourquoi ces religions monothéistes d'ascendance judaïque pouvaient se tirer autant dans les pattes alors qu'à la lecture de leurs dogmes on constate rapidement que toutes prônent la même chose, et que toutes se prétendent révélées par un dieu unique commun. C'était une question relativement récurrente lors de mes études. Nous avions d'ailleurs un nom que nous utilisions entre étudiants pour parler de la Torah, des Évangiles et du Coran : la Trilogie d'Adam et Eve, en référence aux publications de science-fiction qui empruntent souvent ce format. Pourquoi, si ce n'est pour des raisons politiques, les uns ne reconnaissent pas les prophètes des autres ? Pourquoi Mahomet n'a-t-il pas été accueilli à bras ouverts par les chrétiens comme ils ont accueilli le Christ ? Pourquoi certains évangiles restent-ils apocryphes alors qu'aucun argument objectif ne permet de les exclure ? Pourquoi la chrétienté n'accorde-t-elle pas de crédit à Smith ? C’est cette réflexion que je développe par le biais d'une étude du mormonisme et qui m'amène à m’interpeller sur les schismes dans l'histoire de religions.

 

Francis Thievicz : D’où est née votre passion pour les insectes ? Est-ce de là que vous avez eu l’idée du De Vermis Circulis ?

 

Hugues Canetti : Tout est parti d'une lecture, encore une fois. Le scarabée d'or de Poe. Le scarabée est le premier insecte pour lequel je me suis passionné. C'est un insecte fascinant. Il existe également un formidable roman de Richard Marsh qui porte son nom et qui, il me semble, a depuis été traduit. Il existe autour de lui toute une mythologie, comme je l'évoquais un peu plus tôt, et c'est probablement cette mythologie qui m'a amené à m'intéresser aux religions antiques. J'ai d'ailleurs écrit un article sur les insectes dans la littérature fantastique et de science-fiction pour la revue à laquelle vous faites allusion Six pieds sur terre. Si j'ai bonne mémoire, il doit être au sommaire du numéro hors-série de 1987. La genèse du De Vermis Circulis est troublante. J'ai la sensation que c'est une synthèse de moi-même, une sorte de puzzle composé par les circonvolutions de mon esprit, et pourtant je ne peux me résoudre à me l'approprier, je n'ai même pas conscience d'en avoir écrit la moindre ligne. En fait j'aimerais paraphraser Gustav Meyrink et dire que je ne sais pas si les lieux évoqués dans le De Vermis Circulis sont réels, mais je sais qu'ils ne viennent pas de mon imagination. Peut-être existent-ils dans une autre réalité… à moins qu'ils ne soient.



 

Francis Thievicz : Nous avons un peu échangé à propos du De Vermis Circulis avant cet entretien. J’ai cru comprendre que le terme de fiction vous déplaisait un peu.

 

Hugues Canetti : Je ne suis pas un très grand lecteur de fictions ou de littératures trop fantaisistes, ce que j’en apprécie ce sont les bases folkloriques, les mythes et les légendes, les vacillements métaphysiques. Le De Vermis Circulis est surtout une manière un peu romanesque de synthétiser des faits réels et documentés. J’ai énormément voyagé, visité des lieux bien plus étranges que ce que maintes imaginations pourraient composer, ai été témoin de phénomènes qui, si je les décrivais comme des souvenirs, me feraient passer pour fou ou illuminé. Pourtant, croyez-moi, je ne verse pas dans l’ésotérisme. Comme naguère l’électricité pouvait appartenir au domaine magique, je suis sûr que bientôt divers phénomènes paranormaux s’expliqueront le plus simplement du monde (mais pas de la manière qu’on imagine) ; tout comme les certitudes scientifiques de naguère pouvaient être mitoyennes des religions, je suis certain que toutes nos bases de connaissances seront des sujets de plaisanterie dans le futur. La vérité n’est qu’une somme de corruptions, de leurres, d’évidences faussées par les sens. La vérité réside dans tout ce que nous tentons d’ignorer afin de ne pas sombrer dans un scepticisme trop radical, mais au final nous restons des animaux qui ont tort d’avoir confiance en eux et en leurs savoirs.

 

Francis Thievicz : Lorsque nous nous sommes rencontrés, avec Sylvain-René de la Verdière, et que je vous ai proposé comme lieu de rendez-vous la pyramide de Falicon, j’ai été étonné que vous ne connaissiez pas les lieux.

 


Hugues Canetti : Je vis à Nice depuis près de 15 ans, mais je vous avouerais que je ne m'intéresse guère au folklore local. Aujourd'hui que j'ai lu vos écrits je comprends mieux pourquoi ce rendez-vous n'a pas eu lieu dans un café de la place Masséna… Quoi qu'il en soit j'ai apprécié cette visite fort instructive qui m'a donné envie d'investiguer plus avant cet étrange tumulus qui n'a plus grand-chose d'une pyramide. Étonnamment le lieu me rappelle le tertre du De Vermis, et si je m'écoutais j'y verrais presque un signe.

 

Francis Thievicz : Vos écrits ne sont pas sans évoquer l'univers lovecratien, est-ce pour vous une influence majeure ?

 

Hugues Canetti : Je ne le pense sincèrement pas. Bien sûr j'ai lu Lovecraft, mais les écrits fantastiques qui m'ont le plus marqué sont vraisemblablement ceux de Clark Ashton Smith, Lord Dunsany, Arthur Machen ou Algernon Blackwood. Des nouvelles comme Les saules * ou Le peuple blanc ** sont d'une puissance évocatrice qu'aucun texte de Lovecraft ne parvient à égaler.

 

Francis Thievicz : Pourquoi avoir choisi une plate-forme en ligne comme Les deux Zeppelins pour publier vos écrits ? Vous auriez pu soumettre ce texte à un véritable éditeur…

 

Hugues Canetti : La réponse est très simple : lorsque j'ai découvert par hasard Les deux Zeppelins, le De Vermis Circulis n'était pas terminé – il ne l'est d'ailleurs toujours pas. J'ai trouvé que l'univers développé dans vos textes et ceux de Sylvain-René de la Verdière n'était pas tellement éloigné du mien. Et puis le format du De Vermis s'y prêtait tout à fait. Seul un site web pouvait publier les textes comme ils venaient, avant que tout soit achevé, et je tenais à ce que cette publication se fasse rapidement. Ne me demandez pas pourquoi, mais je sentais comme une urgence, comme un besoin irrépressible de partager ces textes, car qui sait si nous en verrons la fin ? Bien sûr j'aurais adoré figurer au catalogue d'un éditeur comme La Clef d'Argent (pour n'en citer qu'un), mais c'était malheureusement irréalisable en l'état.

 

Francis Thievicz : Avez d'autres projets en cours ?

 

Hugues Canetti : Non. En dehors de mon travail sur Joseph Smith je n'écris guère. Je fais un peu de photographie et j'ai bien tenté quelques textes miniatures, mais je dois dire que lorsque j'ai conscience de ce que j'écris je ne trouve pas que cela soit de grande valeur. Peut-être vous communiquerai-je ces textes un jour.

 

Francis Thievicz : Un dernier mot ?

 

Hugues Canetti : Avant que les vers ne m'emportent, je voudrais dire à ceux qui liront le De Vermis Circulis de ne pas le prendre à la légère. Certains de ces témoignages véhiculent une menace qui me terrifie tout autant qu'elle m'attire, et aujourd'hui encore je ne sais pas quelles en sont les sources réelles. Ce que je sais bel et bien, c'est que l'on trouve dans ces lignes des choses qui font froid dans le dos et que les investigations que je poursuis ont vérifiées.


Livre Maudit

 

NOTES

  • * Algernon Blackwood (note de FT)
  • ** Arthur Machen (note de FT)
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