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Entretien avec Sylvain René de La Verdière par Francis Thievicz




Sylvain René de La Verdière, vous êtes le capitaine de la maison d’édition factice Les deux Zeppelins, vous écrivez sous plusieurs pseudonymes, avez codirigé un webzine musical, vous collectionnez les instruments étranges et vous refusez toutes mes provocations en duel. Prenez donc place, nous allons vous soumettre à la question.
Francis Thievicz




Parmi vos activités vous écrivez, principalement du fantastique et de la science-fiction en format court. Pour quelle raison ces domaines, et pourquoi ces formats ?

 

Sylvain René de La Verdière : Je lis principalement de la SF et du fantastique, c'est donc naturellement que mes histoires relèvent de ces deux genres, même si j'ai une prédilection pour le fantastique. En ce qui concerne le format court, voire très court, je trouve qu'il s'adapte particulièrement bien au fantastique. J'aime les histoires qui laissent au lecteur une part d'interprétation, voire d'extrapolation, les histoires dont la forme prend parfois le pas sur le fond. Ce format se prête parfaitement à l'exercice.

Francis Thievicz : Le domaine du fantastique, à mon humble avis d’éternel aigri, est d’une affligeante pauvreté depuis une bonne centaine d’années, tant en quantité qu’en qualité, le style a fini par perdre en poésie, en symbolisme, pour aller croupir dans les eaux de la psychanalyse et de l’horreur la moins subtile qui soit. La peur s’est en allée avec les ténèbres, sous la lumière artificielle et moderne plus rien ne peut se tapir dans le mystère. Le fantastique est-il mort ?

 

Sylvain René de La Verdière : Je ne suis pas loin de penser la même chose, bien que je ne sois pas aussi négatif que vous. Mais il est vrai que rares sont les histoires contemporaines que je prends plaisir à lire. Les auteurs actuels que je lis n'ont pas un style qui respire le modernisme. C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup d'héritiers de Claude Seignolle ou de Jean Ray à se mettre sous la dent. Cependant je n'ai rien contre la modernité, j'aime beaucoup les expérimentations et je ne désespère pas de voir apparaître un auteur de fantastique oulipien !

 

Francis Thievicz : Et dans le domaine Steampunk ? Un simple nouveau décor pour les mêmes histoires humaines de peu d’intérêt ou la possibilité de voir quelques auteurs vraiment continuer les littératures fin-de-siècles et victoriennes de fantastique et de merveilleux scientifique (la science-fiction de l’époque) ?

 

Sylvain René de La Verdière : Je me rends compte que le Steampunk ne fait pas vraiment partie de mes lectures. L'univers rétrofiction m'attire, mais je ne crois pas avoir de tels livres dans mes bibliothèques, à part peut-être Palace Athena de Jonas Lenn et Les Revenants de Whitechapel de George Mann, mais je ne les ai pas encore lus. Le peu que je j'entrevois des livres du genre a plutôt tendance à me rebuter. Difficile de me prononcer, du coup.

 

Francis Thievicz : Avez-vous quelques livres à conseiller aux lecteurs (toutes époques confondues) ?

 

Sylvain René de La Verdière : Il y a les deux incontournables, le Dracula de Stoker et le Frankenstein de Shelley. Sinon, parmi mes ouvrages de prédilection, je citerais pour les anciens La maison au bord du monde (W.H. Hodgson), Malpertuis (Jean Ray), Les dieux de Pegana et Le temps et les dieux (Lord Dunsany), La malvenue (Claude Seignolle), Voyage en Arcturus (David Lindsay), Les mains du manchot (Marianne Andrau) et pour les modernes Le cycle de Tschaï (Jack Vance), Désolation (Stephen King), Les rêveurs d'ombre (Serge Brussolo), Goule (Michael Slade) et Le travail du furet (J.P. Andrevon). En fait j'ai bien envie de rajouter encore une cinquantaine de titres, parmi lesquels les livres de Céline Maltère, de Francis Thievicz, de Christophe Lartas, du Club Diogène de Mouret et Sorre, de la collection Ténèbres et Cie de Gindre et Hibon, ou encore les bd de Liberge… tellement qu'au final personne n'en retiendra rien.

 

Francis Thievicz : Pas de Clark Ashton Smith ?

 

Sylvain René de La Verdière : Si, vous avez raison, mais j'ai du mal à en extraire un en particulier. Peut-être L'Empire des Nécromants, ou dans un genre différent Nostalgie de l'inconnu.

 

Francis Thievicz : Écrit-on pour devenir dieu ou pour tromper l’ennui du monde ? Est-ce qu’écrire ne fait pas devenir déçu de ne pas pouvoir réécrire le monde, modifier les dialogues des personnages qui le composent, changer quelques décors, blasphémer quelques règles physiques ? La réalité est-elle assez vaste ?

 

Sylvain René de La Verdière : Je vous retourne la question je sens que ça vous titille d'y répondre !

 

Francis Thievicz : C’est moi qui pose les questions, pas vous.

 

Sylvain René de La Verdière : Ah. Diantre ! Eh bien tant pis. La réalité à laquelle vous faites allusion n'est peut-être pas suffisamment vaste pour contenir votre tête, finalement.

 

Francis Thievicz : Une personne dépourvue de goût m’a prié de vous dire qu’elle trouvait votre pseudonyme élégant, j’en profite donc pour vous transmettre l’insulte, même si je pense que l’insane moisissure dont votre esprit est pétri enlèverait même le charme d’un nom comme Comte de Lautréamont. Pourriez-vous nous faire part des pseudonymes que vous endossez et les raisons pour lesquelles vous vous cachez derrière ces identités multiples ?

 

Sylvain René de La Verdière : Vous remercierez cette personne qui semble bien plus affable que vous-même. J'ai créé Sylvain-René de la Verdière en 2013. C'était au départ l'un des deux personnages principaux des saynètes du Club Memento Temporis que j'écrivais pour Les deux Zeppelins (et qui paraîtront bientôt en recueil aux Éditions de l'Antre, agrémentées d'inédites). Puis les personnages en question et le club lui-même sont devenus anonymes, si bien que j'ai conservé le nom comme pseudonyme d'auteur pour mes textes fantastiques au style un peu vieillot et mes micronouvelles. Le premier texte publié sous ce nom a été celui que vous avez inclus dans votre recueil « Suicide Club » dans l'optique évidente d'attirer les lecteurs pour ensuite leur faire subir votre prose exécrable. J'utilise d'autres pseudonymes qui ne sont pas difficiles à découvrir pour qui se donne la peine de les chercher, et ce en fonction des textes. Sylvain R:é, par exemple, signe des nouvelles plus modernes et pas nécessairement des domaines de l'imaginaire. J'ai un nom pour mes nouvelles écrites il y a 20 ans en arrière, un autres pour mes textes jeunesse, d'autres pour les diverses collaborations, comme Gatien Lecualerc, et d'autres encore. C'est une idée qui m'amuse.

 

Francis Thievicz : Certains lecteurs de ma connaissance s’affligent du sort réservé aux textes publiés aux Deux Zeppelins dont vous êtes le capitaine (le lecteur curieux saura habillement cliquer sur le lien https://les2zeppelins.wordpress.com/ pour diriger ses errances vers le site dont il est question). Pourquoi cette envie de créer un webzine littéraire et pourquoi avoir fait le choix d’effacer les textes publiés en ligne tous les ans ?

 

Sylvain René de La Verdière : Les deux Zeppelins existent par la faute de Philippe Gindre et Christian Hibon, qui n'ont jamais donné de suite à leur formidable recueil de saynètes « Romans ». L'idée, comme vous le sauriez si votre mémoire dépassait les compétences de celle d'une murène, était au départ de créer une page qui accueillerait les textes que vous et moi aurions aimé lire, ces saynètes décontextualisées et rédigées principalement sous forme de dialogues qui ont donné aux deux premières saisons leur particularité. Ce mode de fonctionnement en saisons éphémères permet de libérer chaque année une cohorte de textes afin qu'ils puissent être édités n'importe où sans contrainte, - pour de vrai, aurais-je envie de dire – et fait de chaque lecteur régulier d'une saison un membre à part entière de l'équipage.

 

Francis Thievicz : En effet, j’avais oublié ça. Il faut dire que Les deux Zeppelins se sont ouverts à d’autres membres d’équipage. Romans est vraiment très bon ! C’est vrai qu’il donne envie d’une suite.

 

Sylvain René de La Verdière : Lançons donc un appel officiel à Philippe Gindre ! Philippe, si vous nous nous lisez, allez donc sortir Christian Hibon de sa grotte, et au boulot !

 

Francis Thievicz : Vous vous préparez à sortir un recueil de poésies unifiées par un étrange titre : La cité des brumes, initialement écrit en espéranto et, à ce que j’ai cru comprendre, sortira en plusieurs éditions.

 

Sylvain René de La Verdière : La Civito de la Nebuloj est déjà paru en espéranto à deux reprises : la première dans la version espérantophone du blog Les deux Zeppelins qui existait en 2013, la seconde dans le fanzine brésilien gratuit Fanzeranto en 2015. Il s'agit d'un recueil de 25 textes décrivant une cité onirique. L'apprentissage de langues est quelque chose qui me passionne, et j'ai un faible pour les langues construites. On retrouve notamment une saynète en toki pona dans les annales du Club Memento Temporis (publiée lors de la saison 2), dont l'un des intervenant est d'ailleurs féru d'espéranto. Espéranto que j'ai également utilisé dans une micronouvelle bilingue qui est au sommaire du recueil Uchronique « Le jour où le mur de Berlin n'est pas tombé », paru en 2014. Il s'agit d'une langue que je pratique quotidiennement avec beaucoup de plaisir. Céline Maltère s'est chargée de l'adaptation en français, et plusieurs illustrateurs en proposent leurs propres visions (3 pour l'instant). Le but est de sortir un recueil papier bilingue espéranto/français dans chacune des imageries proposées. Je ne sais pas encore si tous sortiront au même endroit, si des éditeurs seront intéressés par ce type de projet inhabituel (ce dont je doute) ou pas. Au moins l'une des versions existera chez Les deux Zeppelins, quoi qu'il en soit.

 

Francis Thievicz : Parmi les erreurs que vous accumulez (entre autre de refuser tout duel avec moi) vous êtes, comme nombre de ces agnostiques se croyant drôles, pastafarien.

 

Sylvain René de La Verdière : Concernant ce duel dont vous me rebattez les oreilles, sachez que je ne peux me permettre d'éliminer celui qui, par ses mièvres écrits, est le faire-valoir idéal. Pour ce qui est du pastafarisme, c'est une réalité. J'ai longtemps été proche de la Licorne Rose Invisible, mais son manque de visibilité a fini par lui jouer des tours. Le Monstre en Spaghetti Volant, dans sa grande sagesse, a su toucher de son appendice nouillesque la plupart des membres de notre confrérie. Je vous avouerai cependant que j'ai parfois du mal à réfréner mes tendances dudéistes.

 

Francis Thievicz : Je me doute que vous devez connaître Dissection puisque vous avez naguère entretenu un webzine musical (Heavy Metal Universe) et je vous soupçonne d’être assez curieux pour aller vous intéresser un peu à tout. Avez-vous été happé par la chaosophie, les courants gnostiques ou le luciférisme moderne qui tentent d’intégrer certaines découvertes scientifiques à leurs mystiques, et parfois même des Grands Anciens auxquels ils adressent des prières ?

 

Sylvain René de La Verdière : Heavy Metal Universe a vécu 9 ans et a été une expérience passionnante qui s'est malheureusement terminée faute de temps. J'aime beaucoup The Somberlain et Sorm of the light's bane, mais je ne me suis jamais réellement préoccupé des à-côtés de Dissection, même si j'ai connaissance du MLO. Le mysticisme et les croyances en général me sont en fait parfaitement étrangères, la chaosophie n'avait donc pas plus de chance de me happer que le christianisme ou le judaïsme. Après tout, la scientologie et le mouvement raëlien sont fortement ancrés dans la SF, mais ce n'est pas pour autant qu'ils attirent les lecteurs de ce genre de littérature (à moins que ce ne soit le cas ?).

 

Francis Thievicz : Il me semble qu’il est une sorte de tradition de laisser le dernier mot aux interviewés, mais vous ne le méritez pas et nous ne vous avons que trop laissé la parole. En revanche le lecteur avide de bonnes histoires aura bien fait de se pencher sur le Micronomicon (fascicule de nano-nouvelles paru chez -36° éditions), Faux pas (nouvelle policière parue chez Sous la Cape), La Civito de la nebuloj (à paraître quelque part) et Memento Temporis (recueil de saynètes à paraître aux éditions de l'Antre).

 

 

 

 

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